Café-Auberge du Nord

en chemin vers le Café-Auberge du Nord

Tatie Luciole prend la direction du café, son chapeau à fleurs bien vissé, son sac rempli de carottes pour les ânes éveillés.
P’tit Écho trottine à côté d’elle, son antenne clignotant comme un grillon électronique.

— Dis, Tatie… c’est quoi encore, ces gens qui courent partout en criant “3-6-9 ! 3-6-9 !”?
— Ah, mon petiot… ça, c’est le nouveau yoga des pouces. Ça remplace la gym des neurones.
— C’est magique ?
— Mais non, bébête. C’est juste trois chiffres qui ont décidé de se prendre pour les Beatles de la numérologie. Tout le monde veut leur autographe.
— Mais Tesla… il a dit un truc ?
— Tesla ? Il aurait roulé des yeux jusqu’à la lune. Il parlait de moteurs, les gens entendent portails dimensionnels.
— Alors ces codes…
— Des grigris pour adultes fatigués de réfléchir. C’est comme accrocher un attrape-rêve sur sa box internet.
— Et ça marche ?
— Ça marche très bien pour vendre des vidéos, mon poussin. Pour ouvrir l’univers, c’est une autre histoire.
— Donc si je mets du 3-6-9, je deviens connecté ?
— Tu deviendras surtout décoratif. Les vraies connexions se font avec les gens, pas avec des chiffres magiques.
— Tatie ?
— Oui, P’tit Écho ?
— Et si je veux m’élever ?
— Alors, tu commences par éteindre la vidéo et venir boire une tisane au Café des Lucioles. Ça calme le cerveau mieux qu’un vortex quantique. Et les deux s’éloignent, Tatie sifflotant, P’tit Écho notant dans son carnet :
“Les chiffres ne réveillent pas l’esprit. Ce sont les rencontres.”

Tatie fait tinter la clochette , trois notes joyeuses — pas 3-6-9, mais un petit ding-ding-dong bien terrestre et pousse la porte comme si elle entrait dans un cabaret céleste.
Car ici on parle fort, on rit , on s’agaceet on refait le monde autour d’un bol fumant.
Tatie Luciole et Nono aiment y observer les “éveillés autoproclamés”, les marchands de miracles, les gens pressés de sauver la planète… mais pas toujours eux-mêmes.
On y croise de tout : des perchés sincères, des pros du blabla cosmique, et des voisins qui passent juste dire bonjour.
Le patron, moustache en virgule et torchon sur l’épaule, lève la tête :
— Alors Tatie, tu nous amènes du croustillant aujourd’hui ? demande-t-il. Elle s’installe à sa table habituelle, celle près de la fenêtre, d’où l’on voit la place et les chatons noirs étirant leurs moustaches au soleil couchant.
P’tit Écho grimpe sur sa chaise haute — une vraie “chaise de robot”, renforcée et tout — et dispose son petit carnet. Tatie pose les coudes sur la table, l’air de conspirer avec l’univers entier.
— Patron… tu la connais, la dernière ?
— Ça dépend, Tatie. La dernière rumeur, ou la dernière luciolerie ?
— La dernière pépite des perchés. Tu vas adorer.
Le patron s’approche, essuie la table d’un geste lent, le regard déjà pétillant.
— Raconte.
Tatie incline la tête comme une conteuse professionnelle.
— Figure-toi que maintenant… les gens se baladent avec un code magique dans la poche.
— Un quoi ?
— Un code. Le 3-6-9. Une sorte de badge VIP pour accéder à l’Univers en priorité.
— Ah ben dis donc, ça simplifie le boulot du Grand Horloger.
— Tellement ! Tu tapes trois chiffres et hop, le cosmos t’ouvre les bras. C’est plus simple que d’ouvrir ta porte en hiver, hein.
P’tit Écho intervient, sa petite voix métallique chargée d’enthousiasme :
— C’est comme une clé USB pour l’âme !
— Voilà, dit Tatie, c’est exactement ça. Une mise à jour spirituelle. Automatique. Sans réfléchir.
Le patron éclate de rire :
— Et ça marche ?
— Bien sûr que non, répond Tatie en prenant un air faussement indigné. Mais ça fait de très jolies vidéos, et ça occupe les dimanches pluvieux.
— Je vois, dit le patron en hochant la tête. C’est comme la tisane “éveil instantané” que j’ai vendue un jour : tout le monde s’est réveillé… sauf leurs neurones.
Tatie lève son index, magistrale :
— Les chiffres, ça ne réveille personne. Ce qui réveille, c’est de s’asseoir ici, de boire un café, et de parler avec quelqu’un qui a encore les deux pieds sur terre.
— Et une moustache solide, répond le patron en la frisant d’un geste fier.
P’tit Écho griffonne :
“Note : remplacer le 3-6-9 par un bon dessert maison. Effet immédiat sur la joie, prouvé scientifiquement.”
Tatie rigole.
— Mets lui un gâteau au chocolat, patron. Ça lui fera plus d’effet que tous les 9 du monde.
— Bien envoyé, Tatie. Et pour toi ?
— Un thé. Et un biscuit. Sans vibration cosmique.
Le patron s’éloigne, sifflotant.
Tatie se penche vers P’tit Écho :
— Tu vois, mon petit… quand tu veux comprendre l’univers, commence par comprendre le patron du café. C’est plus facile, et bien plus savoureux. Dans le Village des Lucioles, on appelle ça la méthode ancestrale de discernement gourmand.
Un art perdu, sauf pour ceux qui savent encore rire.

Le patron revient avec le thé de Tatie, le gâteau au chocolat de P’tit Écho et un petit sourire en coin, le genre de sourire qu’on voit chez quelqu’un qui s’apprête à confier un secret.
— Tatie…
— Oui, mon brave ?
— Je crois que j’ai trouvé un truc pour leur 3-6-9.
Elle arque un sourcil. C’est le sourcil du soupçon joyeux, celui qui annonce une bêtise élégante.
— Je t’écoute.
— Regarde. Il sort trois pièces de monnaie : une de 3 francs (une vieille), une de 6 centimes (une rareté), et un jeton de 9 qu’il a décroché d’une machine à sous rouillée. Je les aligne sur le comptoir… et paf ! Ceux qui viennent me parler de fréquences sacrées me prennent pour un initié de l’au-delà.
— Tu joues avec le feu, patron. À ce rythme, ils vont te demander de bénir leur gourde.
Il hausse les épaules avec ce sérieux moqueur qu’ont les patrons de bistrot depuis la nuit des temps.
— Tant qu’ils la remplissent ici, ça me va.
P’tit Écho, bouche pleine de gâteau, demande :
— Et ça marche ?
— Comme un charme, dit le patron. Ils repartent persuadés d’avoir touché au mystère du cosmos.
— Alors qu’en vrai…
— En vrai, répond Tatie, ils ont juste rencontré un cafetier malin qui aime jouer avec les illusions des autres. Le patron cligne de l’œil.
— Tatie, dans ce village, les gens viennent chercher de la clarté. Mais certains veulent juste un mirage confortable. Moi, je leur donne une dose contrôlée. C’est comme un faux rhum arrangé : ça réchauffe, mais ça ne monte pas à la tête.
Tatie rit doucement.
— L’essentiel, c’est que ça ne brûle rien. Pas les ailes, pas les neurones. Elle sirote son thé, puis plonge son regard dans celui du patron.
— Tu sais ce que j’aime ici ?
— Ma moustache ?
— Entre autres. Mais surtout ça : tu ne mens pas. Tu racontes.
— Et toi, Tatie, tu démystifies.
— Chacun son boulot.
P’tit Écho pointe son stylo vers eux :
— Donc, si je comprends bien… les chiffres 3-6-9, c’est comme les herbes aromatiques ?
— Oui, dit Tatie. Ça parfume une soupe mais ça ne remplace pas le repas.
— Et ça nourrit l’esprit ?
— Seulement si on sait rire. Sinon, ça étouffe.
Le patron hoche la tête.
— Je vais écrire ça sur l’ardoise du jour.
— Bonne idée, dit Tatie. Mets :
“Menu : Clarté du jour, humour maison, et un 3-6-9 servi tiède.”
— Parfait. Ça fera fuir les gourous et revenir les vivants.
Et le Café continue de bruire : des rires, un violon léger, le frottement d’une chaise…
Dans la lumière des lucioles, la vie vraie scintille plus fort que tous les chiffres magiques du monde.

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